Le Repas des Fauves : féroce et remarquable

C’est l’histoire d’un vrai succès théâtral : jouée pour la première fois à Paris en septembre 2010 au Théâtre Michel, la pièce décroche en 2011 trois Molières (meilleure pièce du Théâtre Privé, meilleur adaptateur, meilleure mise en scène). Après une tournée triomphale à travers toute la France, mais aussi la Belgique et la Suisse, « Le Repas des Fauves » est de retour au Théâtre Michel depuis septembre dernier, et a fêté sa 500^ème représentation en novembre. Il s’agit en fait de l’adaptation du film éponyme de Christian Jacque sorti dans les années 60, lui-même adapté d’une pièce de Vahé Katcha. En général, les pièces de théâtre qui connaissent un tel succès sont le plus souvent ce qu’on appelle du théâtre de boulevard, en tout cas plutôt comique.

Pourtant dans « Le Repas des Fauves » le sujet ne prête pas franchement à rire… Nous sommes en 1942 ; huit amis se retrouvent chez l’une d’entre eux pour fêter l’anniversaire de leur hôte, lorsque une fusillade éclate au pied de l’immeuble, tuant deux officiers allemands. La Gestapo fait alors irruption dans l’appartement, exigeant en guise de représailles deux otages parmi les huit convives. Mais ce sont eux qui devront les désigner. Autant dire qu’il y a nettement plus drôle comme situation…

Sauf que durant deux heures, on rit, et c’est ce qu’il y a de plus étonnant dans cette pièce. A la question « peut-on rire de tout, même du pire ? », Le Repas des Fauves prouve vraiment que oui ! C’est admirablement écrit, et forcément, les vraies natures des uns et des autres se révèlent petit à petit. Le jeu des acteurs est formidable, et surtout, la mise en scène est particulièrement aboutie, mêlant des projections graphiques à l’action pour figurer les scènes d’extérieur. C’est oppressant, déroutant, d’autant plus qu’encore une fois, c’est drôle, ce qui même peut parfois mettre mal à l’aise. Les personnages nous donnent une grande leçon d'humanité et d'humilité, car on ne peut évidemment pas s’empêcher de se demander ce que nous, à leur place, nous aurions fait, tout en se disant qu’on n’aurait définitivement pas aimé y être, à leur place !

Il y a comme une impression étrange lorsque la pièce se termine, mélange de malaise et de bien-être, malaise d’avoir rit peut-être, mais bien-être d’avoir rit justement. En tout cas, je pense que « Le Repas des Fauves » ne peut laisser personne indifférent. La pièce se joue à Paris jusqu’en janvier 2013, sincèrement n’hésitez pas une seule seconde si vous ne l’avez pas encore vue, c’est simplement remarquable.